La Guadeloupe est paralysée depuis maintenant cinq semaines. Cette situation était pourtant prévisible, puisqu’en décembre l’île avait été bloquée durant trois jours par les sociétés de transport pour dénoncer les prix des carburants jugés trop élevés. Une journée de grève, organisée mi-décembre par l’UGTG (Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe) était pourtant passée quasiment inaperçue quelques jours après ce blocage. Ils avaient lors d’une manifestation lancé un ultimatum au 20 janvier sur des revendications très précises et audacieuses. Un collectif réunissant une cinquantaine de syndicats et d’associations piloté par l’UGTG a été constitué pour dénoncer les problèmes de « vie chère » qui concerne la Guadeloupe comme tous les départements d’outre-mer. Un mouvement de mobilisation exceptionnellement bien suivi à donc débuté avec la grève générale lancée le 20 janvier. Tous les secteurs d’activité, public comme privé sont concernés. Les écoles, collèges et lycées ont d’abord fonctionnés au ralenti avant de fermer à partir du 20-21 janvier, les stations-service ne délivrent plus de carburant, les hypermarchés et grandes surfaces sont contraints de baisser leurs rideaux sous la pression des syndicats et des manifestants. Les difficultés pour répondre aux besoins quotidiens sont nombreuses : les commerces encore ouverts sont peu nombreux et ne disposent plus de produits frais, les boulangeries sont prises d’assaut avec des files d’attentes interminables. Le principal obstacle pour une population bien préparée à ce contexte de crise sociale, concerne les déplacements. Les réservoirs se sont progressivement vidés depuis le début du conflit et les ravitaillements sont impossibles ou inaccessibles : en effet seuls les véhicules prioritaires étroitement sélectionnés peuvent obtenir le précieux fluide qui permet aux personnels non grévistes de rejoindre leur lieu de travail.
Si une accalmie est apparue dans la première semaine du mois de février avec l’ouverture de près de la moitié des stations services de l’île, le retour à la paralysie générale n’a pas tardé. En effet depuis dimanche 15 février tout est de nouveau fermé. Les magasins sont ouverts par intermittence avec des rayons souvent vides et des produits frais rares et donc très convoités.
Ce type de conflit social explosif ne se produit pas régulièrement comme certains préjugés tendent à l’affirmer. Ce mouvement initié par le LKP « Lyannaj Kont Pwofitasyon » (collectif dénonçant l’exploitation des travailleurs guadeloupéens) est indubitablement un événement exceptionnel aux Antilles tant du point de vue de la durée que de l’intensité de la mobilisation. Ce combat syndical et associatif a été lancé pour dénoncer et tenter de mettre fin à une crise sociale évidente et particulièrement aigüe en Guadeloupe qui arrive en tête avec la Guyane et la Martinique au palmarès des régions les plus touchées par le chômage dans l’Union Européenne. La plateforme des revendications formulées par le collectif comporte plus de 130 points qui tendent à démontrer que certains surcoûts que doivent supporter le consommateur guadeloupéen sont tout simplement injustifiés voire inexplicables. Cette dénonciation musclée d’un certain nombre d’abus de la part des quelques « grands » patrons qui se partagent le marché antillais semble parfois dévier vers le procès d’un Etat jugé absent et dont le silence sur la situation en Guadeloupe durant les deux premières semaines du conflit a été ressenti par beaucoup comme une attitude méprisante de la part de Paris. Un autre élément intervient aussi dans ce climat social très tendu : le recours à l’histoire ou parfois plutôt à la mémoire pour expliquer la situation actuelle. Les références au passé sont nombreuses. Les comparaisons prennent parfois sens comme lorsque les patrons « békés » sont montrés du doigt car ils concentrent dans leurs mains une grande partie du pouvoir économique en Martinique et une part non négligeable du marché guadeloupéen. Ainsi les logiques raciales qui ont eu longtemps cours dans les sociétés antillaises ne semblent pas avoir totalement disparu. Pire, il apparaît que la pigmentation de la peau influe encore, voire définit une position ou une fonction dans la société. En clair, plus la teinte d’une peau est foncée moins grandes sont les chances d’ascension sociale. Cette logique proprement scandaleuse et d’un temps révolu semble perdurer ici aux Antilles. En effet cela peut se vérifier car bon nombre de professions peu valorisantes et sous-payées sont exercées par des « neg-neg » c'est-à-dire des personnes à la carnation bien foncée. A l’inverse, ceux qui représentent « l’élite » de la société guadeloupéenne comme le dirigeant du medef local ont bien souvent la peau claire. Il n’est donc pas surprenant de voir fleurir des slogans comme ce chant qui prend les formes d’un hymne patriotique "La Gwadloup sé ta nou. La Gwadloup sé pa ta yo ! Yo pé ké fé sa yo lé adan peyi an nou »!" qui signifie "La Guadeloupe nous appartient, elle ne leur appartient pas, ils ne feront pas ce qu'ils veulent dans notre pays". La question évidente qui se pose alors est : que veut dire « nous » ? Guadeloupéens, Noirs ? (Les deux termes n’étant évidemment pas synonymes) et qui est désigné par cette troisième personne du pluriel ? (Cela concerne-t-il simplement les profiteurs ou alors les blanc-pays, les « Français », les métropolitains ou plus généralement les blancs ?). Si la réponse n’est pas forcément évidente, l’intention des manifestants ne laisse que peu de place à l’interprétation « nou ké fouté yo dewo ».
Ce langage peut paraître âpre si on le compare à la plateforme de revendications qui ne présente pas un ton nationaliste ou indépendantiste mise à part la volonté de favoriser l’emploi de travailleurs guadeloupéens. Le contenu des 130 ou 140 points de cette plateforme est uniquement social. Il s’agit de requêtes ou de dénonciations de certains abus ou manquements s’adressant au patronat, aux élus locaux et à l’Etat. Ainsi des positions de monopole (comme Carrefour dont les deux magasins sont la propriété de Bernard Hayot , Béké martiniquais et cent-dix-neuvième fortune de française ou encore Total qui dispose de plus de la moitié des stations de l’île et possède des parts dans la Sara, société de raffinerie et distributeur sur les Antilles.) ou des problèmes de surprofits (comme les frais bancaires pratiqués par la BNP qui fait payer ses services annuels de base 240 euros à un Guadeloupéen contre 45 euros à un Parisien ou encore les marges gargantuesques de la grande distribution sur de nombreux produits, comme le prix de la banane supérieur de 40 % à celui pratiqué en métropole alors qu’elle est produite localement !) sont mis en exergue.
Les négociations réunissant les élus locaux, le préfet représentant l’Etat, les « socio-professionnels » (=les patrons et acteurs de la vie économique) et le collectif ont été organisées selon les modalités exigées par le LKP, c'est-à-dire dans le cadre d’une réunion commune et retransmise en direct à la télévision. Cette forme de discussion ne convenait uniquement qu’au LKP. Cela a entraîné l’arrêt des négociations au bout de trois jours suite au départ du préfet décidé par Yves Jégo, secrétaire d’Etat à l’outre-mer. Les pourparlers n’ont véritablement repris qu’une semaine plus tard avec l’arrivée de Jégo mais ont une nouvelle fois été interrompus en raison de la volte-face du secrétaire d’Etat qui s’était avancé sur la question cruciale des 200 euros d’augmentation de salaire exigés pour les minimas sociaux et les bas revenus. Un préaccord semblait sur le point d’être conclu mais le locataire de la rue Oudinot fut rappelé à Paris et finalement désavoué par Fillon et Sarkozy. Il apparaît que le simple secrétaire d’Etat aurait donc donné l’aval de l’Etat sur cette proposition d’une augmentation des salaires partiellement prise en charge par l’Etat entraînant par voie de conséquence son application aux autres DOM voire même à l’ensemble de la métropole. Cette solution eut été difficilement tenable en raison de l’état des finances publiques mais aussi car elle est largement contraire aux orientations du chef de l’Etat et de son premier ministre. Ainsi, le LKP a toujours mis en avant cette revendication des 200 euros qui est un véritable point bloquant de ces négociations puisque les 130 autres requêtes auraient trouvé une réponse de la part des différentes parties du débat. On peut donc s’interroger sur la stratégie du collectif. S’agit-il d’une mesure centrale à leurs yeux qui ne peut rester sans réponse ? Ou alors est-ce un stratagème employé afin de faire durer les négociations et le mouvement de mobilisation pour provoquer une lassitude qui conduit naturellement au pourrissement de la situation et servir enfin des intérêts autonomistes ou indépendantistes dissimulés ?
La question reste pour l’instant en suspend. Toutefois, la dégradation de l’ambiance, la multiplication des violences, des destructions et des pillages confirment le changement de ton donné au mouvement de mobilisation qui avait été parfaitement maîtrisé durant plus de trois semaines avec des manifestations réunissant plus d’un dixième de la population sans aucun débordement.
Cette ambivalence du mouvement de mobilisation se retrouve également dans la personnalité de son leader et porte parole, Elie Domota. Directeur adjoint de l’ANPE de Guadeloupe, ce syndicaliste UGTG est surtout un brillant orateur et un intervenant qui maîtrise parfaitement ses dossiers. D’ailleurs, lors des séances de négociation Domota fut de loin le plus éloquent de l’assemblée. Si ce militant de longue date se montre très convaincant lorsqu’il dénonce des situations qu’il a lui-même contribué à mettre en lumière, il peut également prendre un tout autre visage quand il se met à proférer des menaces de mort ou encore de « guerre civile » si l’un de ses camarades syndicalistes venait à être blessé. De même, quand ce leader devenu seul interlocuteur face à trois parties adverses (patrons, Etat voire les élus locaux à qui on reproche leur impuissance et leur inaction) se montre incapable, volontairement ou non, d’apaiser les jeunes des ghettos qu’il avait pourtant parfaitement manipulés et maîtrisés jusqu’à présent. On assiste effectivement à une montée de la violence depuis le début de la semaine. Sur les routes, de nombreux barrages faits de carcasses de voitures de pierres ou d’arbres arrachés ont été érigés par les militants du LKP mais aussi par des jeunes en marge du mouvement. Il semble qu’il y ait eu des scènes de racket et de caillassage sur ces barrages. Les nuits entre le 16 et le 19 février ont été marquées par des épisodes d’émeutes urbaines qui se déroulent principalement dans l’agglomération de Pointe-à Pitre. Des bandes de jeunes armées de fusils pillent, brûlent de nombreux commerces et n’hésitent pas à ouvrir le feu sur les forces de l’ordre. Comment s’étonner de cette ébullition lorsqu’on connaît la situation sociale des ces jeunes et le manque de perspectives qui s’offre à eux ?
Le conflit n’étant pas arrivé à son épilogue, il est donc difficile d’en tirer un bilan définitif. Cependant, cette crise sociale marquée par une paralysie totale de l’économie laissera évidemment des séquelles qui mettront sans doute plusieurs années à s’effacer, si cela se produit. De nombreuses petites entreprises sont mises en péril, l’activité touristique tourne au ralenti voire disparaît temporairement alors que cette période correspond à la haute-saison, les élèves et étudiants ne reçoivent plus de cours et seront donc grandement pénalisés. Enfin, l’image de cette île des Antilles sera pour longtemps écornée puisque selon les professionnels du tourisme, un mouvement social est bien plus pénalisant qu’un attentat ou une catastrophe naturelle.
De nombreuses questions n’ont pour l’instant pas encore de réponses. S’agit-il d’une révolte ou d’une « révolution » comme certains proches du « rouge et noir » nomment cette période ? Quelles seront les avancées sociales à l’issue de ce mouvement qui a déjà coûté la vie à une personne et entraîné la destruction de nombreux emplois ? Quelle est la profondeur de cette crise qualifiée aussi de « sociétale » ? Quel sera l’avenir institutionnel de la Guadeloupe compte-tenu des fortes rancoeurs post-coloniales qui se sont exprimées et de la nécessité affirmée par de nombreux acteurs du mouvement de relancer le débat statutaire ?
Si une accalmie est apparue dans la première semaine du mois de février avec l’ouverture de près de la moitié des stations services de l’île, le retour à la paralysie générale n’a pas tardé. En effet depuis dimanche 15 février tout est de nouveau fermé. Les magasins sont ouverts par intermittence avec des rayons souvent vides et des produits frais rares et donc très convoités.
Ce type de conflit social explosif ne se produit pas régulièrement comme certains préjugés tendent à l’affirmer. Ce mouvement initié par le LKP « Lyannaj Kont Pwofitasyon » (collectif dénonçant l’exploitation des travailleurs guadeloupéens) est indubitablement un événement exceptionnel aux Antilles tant du point de vue de la durée que de l’intensité de la mobilisation. Ce combat syndical et associatif a été lancé pour dénoncer et tenter de mettre fin à une crise sociale évidente et particulièrement aigüe en Guadeloupe qui arrive en tête avec la Guyane et la Martinique au palmarès des régions les plus touchées par le chômage dans l’Union Européenne. La plateforme des revendications formulées par le collectif comporte plus de 130 points qui tendent à démontrer que certains surcoûts que doivent supporter le consommateur guadeloupéen sont tout simplement injustifiés voire inexplicables. Cette dénonciation musclée d’un certain nombre d’abus de la part des quelques « grands » patrons qui se partagent le marché antillais semble parfois dévier vers le procès d’un Etat jugé absent et dont le silence sur la situation en Guadeloupe durant les deux premières semaines du conflit a été ressenti par beaucoup comme une attitude méprisante de la part de Paris. Un autre élément intervient aussi dans ce climat social très tendu : le recours à l’histoire ou parfois plutôt à la mémoire pour expliquer la situation actuelle. Les références au passé sont nombreuses. Les comparaisons prennent parfois sens comme lorsque les patrons « békés » sont montrés du doigt car ils concentrent dans leurs mains une grande partie du pouvoir économique en Martinique et une part non négligeable du marché guadeloupéen. Ainsi les logiques raciales qui ont eu longtemps cours dans les sociétés antillaises ne semblent pas avoir totalement disparu. Pire, il apparaît que la pigmentation de la peau influe encore, voire définit une position ou une fonction dans la société. En clair, plus la teinte d’une peau est foncée moins grandes sont les chances d’ascension sociale. Cette logique proprement scandaleuse et d’un temps révolu semble perdurer ici aux Antilles. En effet cela peut se vérifier car bon nombre de professions peu valorisantes et sous-payées sont exercées par des « neg-neg » c'est-à-dire des personnes à la carnation bien foncée. A l’inverse, ceux qui représentent « l’élite » de la société guadeloupéenne comme le dirigeant du medef local ont bien souvent la peau claire. Il n’est donc pas surprenant de voir fleurir des slogans comme ce chant qui prend les formes d’un hymne patriotique "La Gwadloup sé ta nou. La Gwadloup sé pa ta yo ! Yo pé ké fé sa yo lé adan peyi an nou »!" qui signifie "La Guadeloupe nous appartient, elle ne leur appartient pas, ils ne feront pas ce qu'ils veulent dans notre pays". La question évidente qui se pose alors est : que veut dire « nous » ? Guadeloupéens, Noirs ? (Les deux termes n’étant évidemment pas synonymes) et qui est désigné par cette troisième personne du pluriel ? (Cela concerne-t-il simplement les profiteurs ou alors les blanc-pays, les « Français », les métropolitains ou plus généralement les blancs ?). Si la réponse n’est pas forcément évidente, l’intention des manifestants ne laisse que peu de place à l’interprétation « nou ké fouté yo dewo ».
Ce langage peut paraître âpre si on le compare à la plateforme de revendications qui ne présente pas un ton nationaliste ou indépendantiste mise à part la volonté de favoriser l’emploi de travailleurs guadeloupéens. Le contenu des 130 ou 140 points de cette plateforme est uniquement social. Il s’agit de requêtes ou de dénonciations de certains abus ou manquements s’adressant au patronat, aux élus locaux et à l’Etat. Ainsi des positions de monopole (comme Carrefour dont les deux magasins sont la propriété de Bernard Hayot , Béké martiniquais et cent-dix-neuvième fortune de française ou encore Total qui dispose de plus de la moitié des stations de l’île et possède des parts dans la Sara, société de raffinerie et distributeur sur les Antilles.) ou des problèmes de surprofits (comme les frais bancaires pratiqués par la BNP qui fait payer ses services annuels de base 240 euros à un Guadeloupéen contre 45 euros à un Parisien ou encore les marges gargantuesques de la grande distribution sur de nombreux produits, comme le prix de la banane supérieur de 40 % à celui pratiqué en métropole alors qu’elle est produite localement !) sont mis en exergue.
Les négociations réunissant les élus locaux, le préfet représentant l’Etat, les « socio-professionnels » (=les patrons et acteurs de la vie économique) et le collectif ont été organisées selon les modalités exigées par le LKP, c'est-à-dire dans le cadre d’une réunion commune et retransmise en direct à la télévision. Cette forme de discussion ne convenait uniquement qu’au LKP. Cela a entraîné l’arrêt des négociations au bout de trois jours suite au départ du préfet décidé par Yves Jégo, secrétaire d’Etat à l’outre-mer. Les pourparlers n’ont véritablement repris qu’une semaine plus tard avec l’arrivée de Jégo mais ont une nouvelle fois été interrompus en raison de la volte-face du secrétaire d’Etat qui s’était avancé sur la question cruciale des 200 euros d’augmentation de salaire exigés pour les minimas sociaux et les bas revenus. Un préaccord semblait sur le point d’être conclu mais le locataire de la rue Oudinot fut rappelé à Paris et finalement désavoué par Fillon et Sarkozy. Il apparaît que le simple secrétaire d’Etat aurait donc donné l’aval de l’Etat sur cette proposition d’une augmentation des salaires partiellement prise en charge par l’Etat entraînant par voie de conséquence son application aux autres DOM voire même à l’ensemble de la métropole. Cette solution eut été difficilement tenable en raison de l’état des finances publiques mais aussi car elle est largement contraire aux orientations du chef de l’Etat et de son premier ministre. Ainsi, le LKP a toujours mis en avant cette revendication des 200 euros qui est un véritable point bloquant de ces négociations puisque les 130 autres requêtes auraient trouvé une réponse de la part des différentes parties du débat. On peut donc s’interroger sur la stratégie du collectif. S’agit-il d’une mesure centrale à leurs yeux qui ne peut rester sans réponse ? Ou alors est-ce un stratagème employé afin de faire durer les négociations et le mouvement de mobilisation pour provoquer une lassitude qui conduit naturellement au pourrissement de la situation et servir enfin des intérêts autonomistes ou indépendantistes dissimulés ?
La question reste pour l’instant en suspend. Toutefois, la dégradation de l’ambiance, la multiplication des violences, des destructions et des pillages confirment le changement de ton donné au mouvement de mobilisation qui avait été parfaitement maîtrisé durant plus de trois semaines avec des manifestations réunissant plus d’un dixième de la population sans aucun débordement.
Cette ambivalence du mouvement de mobilisation se retrouve également dans la personnalité de son leader et porte parole, Elie Domota. Directeur adjoint de l’ANPE de Guadeloupe, ce syndicaliste UGTG est surtout un brillant orateur et un intervenant qui maîtrise parfaitement ses dossiers. D’ailleurs, lors des séances de négociation Domota fut de loin le plus éloquent de l’assemblée. Si ce militant de longue date se montre très convaincant lorsqu’il dénonce des situations qu’il a lui-même contribué à mettre en lumière, il peut également prendre un tout autre visage quand il se met à proférer des menaces de mort ou encore de « guerre civile » si l’un de ses camarades syndicalistes venait à être blessé. De même, quand ce leader devenu seul interlocuteur face à trois parties adverses (patrons, Etat voire les élus locaux à qui on reproche leur impuissance et leur inaction) se montre incapable, volontairement ou non, d’apaiser les jeunes des ghettos qu’il avait pourtant parfaitement manipulés et maîtrisés jusqu’à présent. On assiste effectivement à une montée de la violence depuis le début de la semaine. Sur les routes, de nombreux barrages faits de carcasses de voitures de pierres ou d’arbres arrachés ont été érigés par les militants du LKP mais aussi par des jeunes en marge du mouvement. Il semble qu’il y ait eu des scènes de racket et de caillassage sur ces barrages. Les nuits entre le 16 et le 19 février ont été marquées par des épisodes d’émeutes urbaines qui se déroulent principalement dans l’agglomération de Pointe-à Pitre. Des bandes de jeunes armées de fusils pillent, brûlent de nombreux commerces et n’hésitent pas à ouvrir le feu sur les forces de l’ordre. Comment s’étonner de cette ébullition lorsqu’on connaît la situation sociale des ces jeunes et le manque de perspectives qui s’offre à eux ?
Le conflit n’étant pas arrivé à son épilogue, il est donc difficile d’en tirer un bilan définitif. Cependant, cette crise sociale marquée par une paralysie totale de l’économie laissera évidemment des séquelles qui mettront sans doute plusieurs années à s’effacer, si cela se produit. De nombreuses petites entreprises sont mises en péril, l’activité touristique tourne au ralenti voire disparaît temporairement alors que cette période correspond à la haute-saison, les élèves et étudiants ne reçoivent plus de cours et seront donc grandement pénalisés. Enfin, l’image de cette île des Antilles sera pour longtemps écornée puisque selon les professionnels du tourisme, un mouvement social est bien plus pénalisant qu’un attentat ou une catastrophe naturelle.
De nombreuses questions n’ont pour l’instant pas encore de réponses. S’agit-il d’une révolte ou d’une « révolution » comme certains proches du « rouge et noir » nomment cette période ? Quelles seront les avancées sociales à l’issue de ce mouvement qui a déjà coûté la vie à une personne et entraîné la destruction de nombreux emplois ? Quelle est la profondeur de cette crise qualifiée aussi de « sociétale » ? Quel sera l’avenir institutionnel de la Guadeloupe compte-tenu des fortes rancoeurs post-coloniales qui se sont exprimées et de la nécessité affirmée par de nombreux acteurs du mouvement de relancer le débat statutaire ?
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